le résumé

On entend rarement parler de Judith Moreau de Brésoles, apothicairesse et première supérieure des religieuses hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal. Arrivée de France en 1659, cette audacieuse infirmière reconnue pour ses connaissances en pharmacologie a consacré les vingt-huit dernières années de sa vie aux malades de la Nouvelle-France. Les Autochtones, à qui elle n’hésitait pas à emprunter les secrets en matière d’herbes médicinales, la surnommaient « le soleil qui luit ». 

Hospitalières de St-Joseph

1re scène : Jeanne Mance et Mme de Bullion en 1641. Remise des dons pour l’HDM. 2e scène : l’arrivée des Hospitalières de St-Joseph à Ville-Marie en 1659. 3e scène : Jean Poupée (1er médecin de Ville-Marie) et Jeanne Mance soignants l’Amérindien Pachirini en 1643. Source : CHU Montréal

les détails

Toute jeune, Judith Moreau de Brésoles visitait les malades avec sa mère et avait décidé de sa vocation : elle serait infirmière (et donc religieuse, époque oblige !) comme ces femmes qu’elle voyait œuvrer à l’Hôtel-Dieu de Blois, sa ville d’origine. La petite Judith s’intéresse aussi très tôt à la médecine et à la fabrication des médicaments; à 15 ans, elle sait déjà pratiquer la saignée

Envers et contre ses parents…

Ses parents s’opposant à son projet de carrière, elle s’enfuit de chez elle en 1645, soit à sa majorité (que l’on atteint alors à 25 ans !) et se rend à l’Hôtel-Dieu de La Flèche, en région Pays de la Loire, pour joindre la congrégation des religieuses hospitalières de Saint-Joseph, qu’on appelait les « Filles de Saint-Joseph ». Elle peut enfin s’adonner à sa passion et poursuivre son apprentissage de la pharmacie et de la fabrication des remèdes. Cinq ans plus tard, en 1650, elle fonde l’Hôtel-Dieu de Laval, en France, avec Catherine Macé et Marie Maillet, deux consœurs qui la suivront plus tard en Nouvelle-France. 

La révélation divine de Jérôme Le Royer de La Dauversière

Petit retour en arrière : on raconte que La Dauversière, homme laïc dévot très influent et fortuné vivant à La Flèche, aurait eu une révélation divine en 1630 qui lui enjoignait de fonder une congrégation religieuse hospitalière au service des pauvres et des malades. 

Après avoir fondé, en 1636, « les Filles de Saint-Joseph », il établit, en 1639-40, la « Société de Notre-Dame de Montréal pour la conversion des Sauvages de la Nouvelle-France » dont l’objectif est de créer une ville d’instruction catholique en Nouvelle-France, et à laquelle les autorités concèdent l’île de Montréal. Le village de « Ville-Marie » (ancien nom de Montréal) voit le jour officiellement le 17 mai 1642, avec l’arrivée à Pointe-à-Callière d’une cinquantaine de colons recrutés par la Société, et Jeanne Mance, cofondatrice de Montréal.

Dieu aurait également commandé à La Dauversière de fonder un Hôtel-Dieu sur l’île de Montréal. Jeanne Mance se voit confier la mise sur pied de l’hôpital et il est entendu que les hospitalières de Saint-Joseph y traiteront malades et blessés — « lorsque les circonstances le permettront ».

Envers et contre l’évêque de La Flèche…

Sauf que l’évêque de La Flèche s’y oppose. Judith Moreau de Brésoles réussit à le convaincre de les laisser partir, cependant il leur impose une condition, celle « d’adopter la clôture rigoureuse ». Les Filles de Saint-Joseph, femmes d’action, n’étaient jusque-là ni cloîtrées, ni tenues d’arborer les vêtements encombrants des autres congrégations religieuses, ce qui déplaisait à l’Église. 

Judith Moreau de Brésoles

Mais la crainte et l’hésitation de l’évêque à les laisser partir reposent aussi sur des considérations autres : colonie implantée sur le site de la bourgade autochtone d’Hochelaga, Ville-Marie subit de nombreuses attaques par les Iroquois. Rappelons-nous que Jeanne Mance avait été « la première blanche à fouler le sol de Ville-Marie », et que la Nouvelle-France, dans ces circonstances et celles du climat de misère, était un lieu peu accueillant, surtout pour les femmes.

Le 1er juin 1659, Judith Moreau de Brésoles, Catherine Macé et Marie Maillet finissent par quitter La Flèche, pour embarquer sur le Saint-André à La Rochelle, dans un climat d’émeute. Nombreux sont leurs concitoyens qui craignent qu’elles aient été recrutées de force par La Dauversière, et qu’elles soient vouées à un destin de martyres.

Après plus de trois mois en mer, elles débarquent à Québec le 7 septembre 1659.

Et envers et contre l’évêque de Nouvelle-France

À leur arrivée à Québec, les trois jeunes femmes font face à d’autres embûches. Mgr Laval, évêque de Nouvelle-France, préférerait les voir s’intégrer aux hospitalières de Québec (les Augustines) déjà sur place. Aussi, à son avis, les Filles de Saint-Joseph n’ont pas une allure suffisamment pieuse. Elles reçoivent malgré tout leur « obédience » (permission d’œuvrer à Montréal) à la condition qui leur avait été imposée avant de quitter la France : se couvrir et se cloîtrer en plus de transformer leurs « vœux simples » en « vœux solennels », beaucoup plus contraignants.

Les Filles de Saint-Joseph arrivent sur l’île le 20 octobre 1659 et sont accueillies par Jeanne Mance, qui dirige le premier hôpital de Ville-Marie, l’Hôtel-Dieu de Saint-Joseph qui deviendra l’Hôtel-Dieu de Montréal, depuis 1645.

Une femme remarquable dotée d’une ténacité sans limites

Judith Moreau de Brésoles devient la première supérieure de la première communauté religieuse féminine de Montréal, les religieuses hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal, dont elle dirige et développe la pharmacie jusqu’à son décès en 1687.

Dans les jardins du monastère, elle cultive une grande quantité d’herbes médicinales et s’inspire des usages qu’en font les Autochtones, puis elle prescrit elle-même remèdes et médicaments lorsqu’aucun médecin ne se trouve dans l’établissement. Les malades — français et autochtones — lui accordent une telle confiance qu’ils sont convaincus que, soignés par elle, « ils ne peuvent pas mourir ». 

Alors qu’on se demande aujourd’hui ce qu’il adviendra de l’Hôtel-Dieu de Montréal, il faut saluer le travail remarquable de l’une de ses fondatrices, une pionnière qui fait partie des précurseurs de la pharmacie, des soins infirmiers et de la médecine du Québec. 

le clin d’œil du pharmacien

Même si elle poursuit la même mission, la pratique pharmaceutique a considérablement changé depuis le XVIIe siècle. Voici un passage d’un ouvrage d’histoire décrivant (en vieux français !) le quotidien de cette remarquable apothicairesse, qui vous en convaincra :  

« S’il arivèt qu’on apporta a l’hospital quelqu’un bien malade, blessé ou autre, aussy tost elle ce levèt à l’instant pour le soulager par ces remedes qu’elle composèt a fur et mesure qu’elle en avèt besoin selon les maladie. […] Elle en fesèt de mesme pour toute sortes de maladie qui fesais un effet tout autre que ceux qu’on aportèt de France. Aussi disèt on que ces médecines estais miraculeuses. […] Quand elle composèt les remedes pour les malades, c’etait sans enbaras. Elle courèt au jardin de Mademoiselle Mance, qui joignèt le leur, chercher des simples, disait elle, en revenèt les mains pleines, quoy qu’on n’i en ut planté et qu’il etait dressé a peu pres comme celui du paresseux, plain de ronces, mechantes herbes et tout en friches, rien n’i etant cultivé que quelques herbes potageres, des legumes et racines pour manger pandant l’hiver. À la suitte du tamps, elle fit enclore un petit jardin pour y planter des herbes medecinales qu’elle cultivèt seule de ces mains ». 

Judith Moreau de Brésoles

En octobre 1659, Judith Moreau de Brésoles, Catherine Macé et Marie Maillet arrivent à Ville-Marie. Source : Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph

liens utiles

L’histoire insolite de l’escalier de La Flèche par
Les amis de la Montagne

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