Image : DALL-E et Photoshop
Introduction
Le gallium, élément chimique numéro 31 du tableau périodique, porte le symbole « Ga ». Il fait partie de la famille des « métaux pauvres », qui regroupe les métaux mous ou fragiles, et dont la résistance mécanique est faible. À l’état solide, il est de couleur bleu-gris et se casse comme du verre. À température ambiante, il demeure solide, mais il est si malléable qu’il se coupe au couteau. Il peut même fondre littéralement dans la main. Cela s’explique par son point de fusion à seulement 29,8 °C. Le gallium liquide devient alors blanc-argenté. Lorsqu’il se refroidit, son volume augmente d’environ 3 %. Il faut donc éviter de le ranger dans un pot Mason !
Cette série présente les éléments du Tableau périodique des éléments chimiques. Ce répertoire, conçu vers 1869 par Dmitri Ivanovich Mendeleïev, rassemble tous les éléments chimiques, qui composent l’univers, tel que nous le connaissons aujourd’hui. L’ingéniosité de ce Tableau tient dans la méthode de répartition des éléments, selon leur numéro atomique, mais aussi selon leurs caractéristiques physiques et chimiques. Ce classement astucieux permet alors d’identifier des éléments existants qui restaient à découvrir, ou même de prédire les propriétés d’éléments chimiques inconnus à l’époque. Sa dernière mise à jour date de 2016, et compte 118 éléments.
Le gallium est rare dans la croûte terrestre, soit environ 0,001 9 %. On le retrouve sous forme d’impuretés dans d’autres minerais, comme la bauxite (minerai d’aluminium) ou la sphalérite (minerai de zinc). On ne le trouve pas à l’état pur dans la nature.
Le gallium au passé
— Une découverte prédite par Mendeleïev
L’histoire du gallium illustre bien l’ingéniosité du tableau périodique. En 1871, Mendeleïev anticipe l’existence d’un élément encore inconnu qu’il nomme « eka-aluminium ». Il le place juste après l’aluminium dans son tableau, et il décrit avec une précision étonnante ses propriétés physiques et chimiques.
Le 27 août 1875, le chimiste français Paul-Émile Lecoq de Boisbaudran découvre effectivement cet élément, en analysant du minerai de zinc au spectroscope. Il le nomme « gallium », en l’honneur de la France (de Gallia, Gaule en latin). Les propriétés du nouvel élément, comme la densité, le point de fusion, ou la réactivité chimique, correspondent presque parfaitement aux prédictions de Mendeleïev.
Le pouvoir prédictif du tableau de Mendeleïev s’appuie sur la périodicité des propriétés des éléments, qui ont tendance à se répéter selon des motifs réguliers lorsqu’on les classe dans un ordre atomique croissant. Un peu comme une partition musicale où les notes se répètent en octaves, les éléments d’une même colonne (ou famille) partagent des comportements chimiques similaires, car ils ont le même nombre d’électrons sur leur couche externe. Leurs propriétés, quant à elles, varient progressivement le long des lignes (ou périodes) à mesure que ce nombre change.
Ces régularités sont si fiables qu’un « trou » dans le tableau permettait aux scientifiques de deviner les propriétés de l’élément manquant en observant celles de ses voisins. L’élément situé directement au-dessus, dans la même colonne, donnait une bonne indication de sa réactivité chimique. Les éléments adjacents, sur la même ligne, permettaient quant à eux d’estimer ses propriétés physiques, comme sa masse atomique ou sa densité. Ainsi, un « portrait-robot » de l’élément à découvrir se dessinait. Lors de sa première publication, en 1869, le Tableau affichait 63 éléments. Il en compte aujourd’hui 118 (depuis 2016).
— La « magie » du gallium
Parmi les « blagues de chimiste », on compte la petite cuillère qui disparaît : offrir du thé ou du café à un invité, puis observer sa réaction quand la cuillère semble s’évaporer ! Façonné en gallium, l’ustensile fond dans le liquide chaud.
Cette expérience chimique aurait inspiré quelques magiciens et prestidigitateurs. Elle trouve certainement un écho lors d’un épisode marquant du Tonight Show. En 1973, le célèbre illusionniste Uri Geller, qui prétendait posséder un pouvoir de télékinésie, est l’invité de Johnny Carson, lui-même ancien magicien. Pour préparer la démonstration du tour de Geller, qui consiste à tordre des cuillères par la seule force de l’esprit, l’animateur, sceptique, fait appel à James Randi, un autre magicien et célèbre démystificateur. En résumé, ils vont empêcher Geller d’avoir accès aux ustensiles avant sa prestation. Dans ces conditions, il échoue à exécuter son tour. Il invoque sa grande nervosité et sa non moins grande admiration pour Carson afin d’expliquer son lamentable échec à un moment de grande écoute. Paradoxalement, loin de nuire à sa carrière, ce fiasco télévisuel a renforcé la croyance du public en ses pouvoirs « authentiques », qui, contrairement à des tours de magie, peuvent être entravés par les émotions.
Est-ce que la mode Nouvel Âge des années 70 et la popularité d’Uri Geller auraient influencé le créateur de Star Wars ? Du moins, on sait que la lumière bleue des sabres laser jouets est possible grâce aux DEL, qui sont faites de cristaux de nitrure de gallium.
Le gallium au présent
— Le gallium, au cœur de la révolution DEL
Le gallium est l’élément clé des diodes électroluminescentes (DEL), ces dispositifs électroniques qui convertissent le courant électrique en rayonnement lumineux. Cette technologie repose sur deux caractéristiques spécifiques du gallium : ses propriétés semi-conductrices, qui permettent une émission efficace de photons (lumière), et sa capacité à former des composés stables avec différents éléments.
L’histoire des DEL s’étend sur plus d’un siècle. Elle est marquée par une série de découvertes qui ont transformé nos modes d’éclairage. En 1907, l’ingénieur anglais Henry Round observe pour la première fois l’émission de lumière par un semi-conducteur. En 1927, le physicien et ingénieur russe Oleg Lossev dépose le premier brevet d’une diode électroluminescente.
C’est la découverte de l’émission infrarouge de l’arséniure de gallium (GaAs) par le physicien américain Rubin Braunstein, en 1955, qui a permis d’envisager son usage pratique. Par la suite, l’ingénieur américain Nick Holonyak Jr. démontre, en 1962, la première DEL émettant de la lumière visible. Il remplace l’arséniure de gallium par des cristaux de phosphure d’arséniure de gallium (GaAsP) afin de fabriquer une DEL capable d’émettre une lumière rouge. Il y aura ensuite le jaune, le vert, puis, en 1972, le premier bleu. Leur fonctionnalité se limite alors aux voyants lumineux et aux affichages simples.
La véritable révolution a lieu dans les années 1990, lorsque Shuji Nakamura et son équipe parviennent à produire des DEL bleues très lumineuses en utilisant du nitrure de gallium (GaN). Cette innovation, qui leur vaut le prix Nobel de physique en 2014 avec Isamu Akasaki et Hiroshi Amano, permet la création de DEL blanches, ouvrant la voie à l’éclairage moderne et au rétroéclairage des écrans. Comparativement aux ampoules à incandescence, les ampoules à DEL réduisent la consommation d’énergie de 70 % à 90 % et ont une durée de vie d’au moins 15 fois plus longue.
— Le côté obscur de la lumière bleue
Bien qu’elle présente des avantages indéniables, la révolution des DEL bleues entraîne une collision inattendue entre le progrès technologique et la biologie humaine. Durant des millions d’années, le corps humain s’est synchronisé avec les mouvements du Soleil. Il a ainsi développé un système complexe où la mélatonine, notre « hormone du sommeil », se libère à la tombée du jour.
Or, la lumière bleue des DEL, différente de la lumière bleue du soleil, vient perturber cet équilibre. Elle agit un peu comme un soleil artificiel qui trompe notre cerveau, surtout lors d’expositions prolongées en soirée. Ce leurre affecte notre rythme circadien, cette horloge interne qui régit nos fonctions organiques.
Pour résoudre ce problème, l’industrie développe une panoplie de solutions, qui combinent innovation technologique et respect de notre rythme biologique. Parmi ces solutions, citons :
Filtres à lumière bleue : des filtres physiques qui s’installent sur les écrans pour diminuer l’émission de lumière bleue.
Lunettes à verres filtrants : ces verres filtrent la lumière bleue, afin de réduire la fatigue oculaire et améliorer le confort visuel lors d’une utilisation prolongée des écrans.
Réglages logiciels : la plupart des appareils proposent des modes nocturnes ou des réglages qui ajustent l’intensité des couleurs des écrans pour diminuer la luminosité bleue le soir. Des fonctions intégrées comme « Night Shift » sur iOS, en est un exemple.
DEL à faible émission de lumière bleue : les fabricants développent des DEL avec des spectres lumineux modifiés afin d’émettre moins de lumière bleue, tout en maintenant une qualité d’éclairage satisfaisante.
Normes et certifications : introduction de certifications telles que le label « Eye Comfort », qui garantit que les écrans répondent à certains critères, dont la réduction de la lumière bleue.
Éducation et sensibilisation : des campagnes d’information du public aux risques liés à la lumière bleue et aux moyens de les limiter, notamment en réduisant l’utilisation des écrans au moment du coucher.
Ampoules intelligentes : Ces ampoules peuvent être contrôlées par des applications mobiles ou des assistants vocaux, ce qui permet aux utilisateurs de régler la teinte et l’intensité lumineuse selon leurs besoins.
Dans la pharmacie
On retrouve le gallium en pharmacie principalement au département de médecine nucléaire, où on l’utilise en imagerie médicale pour réaliser des scintigraphies. Il est alors sous forme de radioisotopes — gallium -67 ou gallium -68 — et il est injecté aux patients. Une fois dans l’organisme, ces isotopes du gallium s’accumulent naturellement dans les tissus affectés, agissant comme des marqueurs lumineux. En révélant la présence et l’emplacement des lésions, ces images permettent aux médecins de détecter certaines tumeurs ou infections.
L’avenir du gallium
— Quand le gallium devient de la mémoire liquide
Une équipe de chercheurs de l’Université de Tsinghua à Pékin ébranle notre conception de la mémoire informatique grâce à une avancée digne des films de science-fiction. La FlexRAM est une mémoire RAM constituée d’un alliage de gallium sous forme liquide. Elle peut se plier, se tordre et s’étirer. Cette innovation se distingue des autres composants flexibles par sa capacité à stocker des données grâce à un procédé qui imite le fonctionnement des neurones.
Dans notre cerveau biologique, les neurones communiquent et stockent l’information grâce à des changements d’état électriques. Ceux—ci sont nommés hyperpolarisation (état négatif) et dépolarisation (état positif). La FlexRAM imite ce mécanisme neuronal : le métal liquide change d’état par oxydation (équivalent à la dépolarisation) et réduction (équivalent à l’hyperpolarisation) pour stocker l’information sous forme de « 1 » et « 0 ».
Cette approche représente une avancée dans la création de systèmes informatiques qui ne se contenteraient pas de traiter l’information comme un cerveau, mais qui possèderaient aussi certaines de ses caractéristiques physiques. Ils pourraient ainsi mieux s’intégrer dans notre cerveau, car ils « parleraient le même langage » que nos neurones, tout en s’adaptant physiquement à sa forme et à ses mouvements.
En plus des interfaces cerveau-machine, les chercheurs envisagent une nouvelle génération d’électronique souple et adaptable, tels des robots aux membres agiles comme ceux d’un poulpe, ou encore des implants médicaux qui épouseraient les formes du corps humain. Selon le chercheur Jing Liu, cette avancée pourrait même mener au développement de systèmes informatiques entièrement basés sur des composants liquides.
— L’anomalie du gallium, une énigme des profondeurs
Au cœur des montagnes du Caucase, à 2100 mètres sous terre, se cache l’une des énigmes les plus intrigantes de la physique moderne : l’anomalie du gallium. Cette histoire débute en 1989, en pleine Guerre froide, quand des scientifiques soviétiques et américains décident de collaborer dans une expérience sans précédent, le Soviet-American Gallium Experiment (SAGE).
L’objectif de SAGE était de mieux comprendre le Soleil et la physique des particules. Le Soleil fonctionne grâce à la fusion nucléaire, qui produit une énorme quantité de neutrinos. Ces particules microscopiques traversent la matière presque sans interaction, ce qui en fait des messagers non contaminés, parfaits pour analyser ce qui se passe au cœur de notre étoile.
Dans ce laboratoire souterrain, les chercheurs utilisent le gallium comme piège à neutrinos. Le principe est élégant : lorsqu’un neutrino rencontre du gallium -71, il se transforme en germanium -71. Pour tester leur dispositif, les chercheurs utilisent des sources artificielles de neutrinos dont ils connaissent précisément l’intensité. C’est alors qu’une anomalie intrigante apparaît : systématiquement, ils observent 20 à 24 % d’atomes de germanium en moins que ce qui était attendu.
Après des décennies d’expérimentations afin de résoudre cette énigme, dont une très récente à Berkeley, l’anomalie se confirme et le mystère s’épaissit. Une hypothèse fascinante émerge : et si nous assistions à la manifestation d’une nouvelle particule, un neutrino « stérile » qui échapperait presque complètement à nos moyens de détection ?
Cette découverte potentielle pourrait non seulement résoudre l’énigme de l’anomalie du gallium, mais aussi éclaircir un des grands mystères de la cosmologie : la nature de la matière noire qui compose notre univers.
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