Laguna Colorada (lagon rouge) couvert de dépôts de borax, Réserve nationale de faune andine Eduardo Avaroa, Bolivie
Introduction
Le bore est un élément chimique de la famille des métalloïdes, qui se situe dans le tableau périodique avec le symbole B et le numéro atomique 5. Dans la nature, il se trouve dans la terre, l’eau, et tous les aliments d’origine végétale, mais sous forme de borates — jamais à l’état pur.
Cette série présente les éléments du Tableau périodique des éléments chimiques. Ce répertoire, conçu vers 1869 par Dmitri Ivanovich Mendeleïev, rassemble tous les éléments chimiques, qui composent l’univers, tel que nous le connaissons aujourd’hui. L’ingéniosité de ce Tableau tient dans la méthode de répartition des éléments, selon leur numéro atomique, mais aussi selon leurs caractéristiques physiques et chimiques. Ce classement astucieux permet alors d’identifier des éléments existants qui restaient à découvrir, ou même de prédire les propriétés d’éléments chimiques inconnus à l’époque. Sa dernière mise à jour date de 2016, et compte 118 éléments.
Les borates sont des sels formés d’atomes de bore et d’oxygène, liés à d’autres éléments, et sont généralement extraits à l’emplacement d’anciens lacs salés. Parmi une centaine répertoriée, le plus répandu est le borax. Très versatile, il est utilisé dans nombre de détergents, antiseptiques, insecticides ou engrais, en médecine, ainsi que pour augmenter la robustesse des métaux, des céramiques et du verre, dont le fameux pyrex. Les composés de bore comptent parmi les plus résistants sur la planète ; notons le carbure de bore, qui sert dans les chars d’assaut ou les centrales nucléaires, et le cristal de nitrure de bore, presque aussi dur que le diamant.
L’isolation de l’élément bore dans son état pur se réalisa sur une période de 100 ans, entre 1808 et 1909. Cependant, ses composés et leurs caractéristiques seraient connus depuis des milliers d’années, puis auraient voyagé le long de la route de la soie. Des traces de borax ont été trouvées dans des artefacts de céramique et de faïence, ainsi que dans du verre et des bijoux, sur divers sites archéologiques en Asie, au Moyen-Orient ou en Égypte, où l’élément était présent dans une forme de cellules photovoltaïque (énergie solaire) il y a plus de 4000 ans !
Le bore au passé
– Du borax à tout faire, des mules et du marketing
Entre les XIXe et XXe siècles, le borax — ou l’acide borique — est pratiquement employé comme un remède universel, recommandé pour traiter toutes sortes de maux, de l’acné aux gastrites, en passant par les mycoses et la ménopause. Dans la maison, il est aussi courant que le bicarbonate de soude, pour aider à nettoyer, blanchir, désodoriser ou désinfecter. En Amérique, la marque la plus emblématique de cette poudre « robuste et à tout faire » est la 20 Mule Team Borax, et sa petite histoire tire ses origines dans la Vallée de la Mort, en Californie.
À la fin des années 1800, de grandes quantités de bore furent découvertes au Nevada, puis dans le désert des Mojaves. Le minéral, assez facile à extraire, s’avérait presque impossible à transporter, sur une terre où les températures atteignent plus de 50 degrés en été, sans route ni lignes ferroviaires.
Pour réussir le voyage, une vingtaine de mules furent mises à contribution, tirant d’énormes chariots sur une distance de 260 kilomètres, jusqu’à l’avènement du train et surtout, de la prospection de mines de borax plus accessibles. De 1883 à 1889, les mules ont charrié autour de 9 millions de kilos de borax des sols arides de la Vallée de la Mort. 125 ans plus tard, la marque se trouve toujours sur les tablettes des quincailleries, et la Californie demeure parmi les principaux sites d’extraction de bore dans le monde.
Le bore au présent
– Le nitrure de bore dans le fard à joues
Composé de bore et d’azote (BN), le nitrure de bore se présente dans différentes gammes (formulations) de poudres aux caractéristiques multiples, utilisées par les plus grandes marques de l’industrie cosmétique. Il est ajouté à la plupart des produits de maquillage, tant pour améliorer l’expérience lors de l’usage, que pour les effets escomptés ; il aide, entre autres, à unifier le teint, à matifier la peau, et à renforcer la tenue des produits dans le temps.
– La résurrection du slime
Qui se souvient de la fameuse petite poubelle verte dans laquelle gisait une motte de substance ni liquide ni solide de la même teinte verte fluo ? La matière visqueuse — et amusante — fut commercialisée sous cette forme par la compagnie Mattel en 1976, puis remise au goût du jour avec, notamment, la franchise Ghostbusters de 2016. Les médias sociaux ont fait le reste, multipliant les recettes « faites-le vous-même » : colle blanche, bicarbonate de soude, et une solution de contact contenant du borate de sodium (voir l’encadré). La substance est même devenue une créature hostile dans le jeu Minecraft.
Dans la pharmacie
Le borate de sodium (ou borax), avec la formule Na₂[B₄O₅(OH)₄]·8H₂O, est ajouté à plusieurs solutions de nettoyage et de stockage de lentilles cornéennes, notamment pour empêcher la croissance bactérienne.
Cependant, ce composé a été associé à des symptômes tels que des yeux rouges, des brûlures ou des démangeaisons. De plus — voir plus bas — des études ont suggéré que l’exposition chronique au bore peut provoquer des effets indésirables sur la santé. Toutefois, les niveaux de borate de sodium présents dans ces solutions sont généralement jugés sécuritaires pour un usage à court terme.
Dans le doute, ou en cas d’irritation ou de symptômes, ne pas hésiter à en parler avec votre ophtalmologiste ou votre pharmacien.ne.
Le bore dans l’avenir
– Le borax en question
De manière générale, le borax devient toxique s’il est ingéré, inhalé ou absorbé par la peau en grandes quantités. En petite quantité, il peut causer des irritations au nez, à la gorge ou aux yeux.
Vers la fin du siècle dernier, certaines études ont déterminé que le borax serait potentiellement un perturbateur endocrinien (peut interférer avec les hormones) pour les humains. Suite à ces révélations et autres études, le dispositif européen de règlementations REACH a choisi d’étiqueter les emballages de borax avec la mention H360 : Peut nuire à la fertilité et au fœtus. Santé Canada, dans la même veine, affirme qu’une surexposition à l’acide borique pourrait affecter le développement humain et la reproduction. Pour cette raison, le ministère recommande d’éviter l’exposition directe à l’acide borique « provenant de sources autres que les aliments et l’eau ».
Il est donc conseillé de limiter l’utilisation du borax autant que possible ou de prendre des précautions appropriées. Cela peut inclure le port d’équipements de protection tels que des gants et un masque, pour éviter l’ingestion, l’inhalation ou l’absorption par la peau. D’ailleurs, suite à la mode du slime, diverses mises en garde sont parues, dont celle-ci : « Prudence avec le slime ». En cas d’ingestion ou d’exposition excessive, il faut consulter un.e professionnel.le de la santé immédiatement.
– L’hydrogène vert mieux stocké ?
Une nouvelle solution de stockage de l’hydrogène pourrait accélérer la transition vers les énergies vertes dans le secteur des transports. L’un des principaux défis à surmonter pour que les véhicules à hydrogène puissent rouler sans danger, et contribuer ainsi à la réduction des émissions de GES, est la nature de ce gaz, inflammable et explosif. Les fuites peuvent s’avérer fatales, et plus néfastes pour le climat que celles de CO2.
Des chercheurs en nanotechnologie ont réussi à stocker des gaz sous forme solide, grâce au nitrure de bore. Ce composé (borazane) peut emmagasiner une grande quantité d’hydrogène à température ambiante. Cette technique (toujours à l’étape de recherche et développement) se révèlerait peu coûteuse, facile à produire et à manipuler, en plus d’offrir une densité d’énergie élevée — stocker plus d’hydrogène dans un espace plus petit.
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En conclusion, le bore peut sembler ennuyant de prime abord, dans sa version d’agent récurrent, rendu plus ou moins sécuritaire à manipuler, aide domestique d’un autre temps… Pourtant, ses caractéristiques semblent prometteuses pour l’avenir, et nous sont utiles depuis des millénaires.
À l’heure où l’on découvre et imagine les panneaux solaires égyptiens d’il y a plus de 4000 ans, nous serions, peut-être, sur le point de faire fonctionner nos voitures à l’hydrogène grâce au bore. Pour paraphraser un titre bien connu : les humains sont pas vite-vite, mais la nature est surprenante.
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